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Je propose, le monde dispose
7 avril 2008

My funny valentine

    Il se réveille, s'assied contre le montant du lit. Machinalement il se passe la main dans les cheveux, raidis par une nuit trop chaude. A son côté le drap est animé par un léger soulèvement, accompagné d'une faible mais régulière respiration.
Il quitte la douceur du coton pour la rugosité du plancher lasuré gris. Ses vêtements l'attendent, là où il les à laissés la veille, au pied du lit. Cinq pas le sépare de la terrasse, deux de "Jude" -son appareil photo-, ce qui fait sept en tout. Dehors, le soleil commence à peine à se lever, un vent persistant mais calme souffle, faisant coucher les hautes herbes aux sommets des dunes. Le ressac de l'étendue bleue le berce dans son habituelle torpeur matinale. Un groupe de mouettes passe dans le ciel bleu-gris, comme ses yeux. C'est un beau matin pour prendre des photos.
Il fait sept pas. Le sable crisse entre la semelle de ses chaussures et le bois de la terrasse. Alors qu'il contemple l'horizon, une radio se met en marche :"You want to go where you never went before...". Il reconnait la chanson aux premiers accords jouer: Short song for a short mind. Il se tourne alors vers le lit, la musique ne semble pas avoir réveillé la jeune femme qui y dormait. Il pense que si la perfection est de ce monde alors elle est couchée à sept pas de lui. Pour sur, elle existe, mais elle n'est pas pour lui. "Jude" sous la main il s'éloigne le long de l'eau...

 

    Quand elle s'éveilla, les vagues avaient depuis longtemps effacés les traces de pas que "lui" avait laissé dans le sable mouillé, la mer ainsi que le soleil étaient à leur point culminant. La tête dans l'oreillé, elle tend la main à sa gauche, les draps y sont froissés mais froids, celui qui à dormi là n'y est plus depuis longtemps. Une crainte irraisonnée, instinctive, la fait émerger plus vite qu'a l'accoutumé. Assise sur le bord du lit, elle parcourt la pièce d'un regard circulaire: face à elle la double porte vitrée est grande ouverte sur l'horizon. Au pied du lit ne reste que ses vêtements à elle, et sur le bureau la place de "Jude" est vide. Ne pas être là a son réveil ne lui ressemble pas, l'inquiétude monte en elle, rapidement calmée par sa raison qui murmure dans son esprit: "peut-être est il simplement sorti faire des photos, et qu'il a fait un détour par la ville pour remplir ce maudit frigo". Une boite vocale pré-enregistrée l'informe qu'il est "momentanément injoignable" et s'en excuse. Et sa rationalité, comme si elle voulait la persuader, recommence à lui souffler : " de toute façon son portable est toujours éteint"...

    Il est midi. A travers le carreau, le soleil d'été chauffe le côté droit de son visage, sa barbe de quelques jours a des reflets dorés. Devant lui les verres s'entassent, "Jude" posé sur la banquette à sa droite, il observe deux vieux pêcheurs qui accoudés au bar discutent des nouveaux quottas de pêche.
- Qui sont-ils pour nous dire la quantité de poiscaille qu'on peut prendre ? Qu'ils nous les envoient les commissaires européens, je te les fais passer par le fond moi !
Le vieux loup de mer avait craché ses paroles comme Neptune aurait vomi toutes les chimères de tout les océans, et d'un tarit avait fini le calva que contenait son bock.
Il prit alors "Jude" a bout de bras, comme si celui-ci en était le prolongement, la photo qui s'en suivit  était magnifique.
Au premier plan le café, presque vide dans son brouillard de fumée. Au second, dans le fond accoudé au bar, les deux marins. Le premier fumant sa pipe, son tri-corne oublié sur le comptoir, le second levant son verre, le liquide brun ambré brillant d'un rayon de soleil le transperçant, éclairant l'alcool qui va bientôt chauffé la bouche, la langue et la gorge habituée. On peut lire sur le visage du capitaine les longues semaines passées en mer, les tempêtes et les jours ou le poisson ne daigne pas montrer le bout de sa queue.
Lui, sur sa banquette, dans cet endroit où il met les pieds pour la première fois, réalise en regardant cette photo la plénitude de ce moment unique qu'il a figé bien égoïstement dans la mémoire de "Jude".
Il réalise alors qu'il ne connait rien, rien de la vie de ces marins, rien de ce bar pittoresque où des générations de pécheurs ont vécues aux rythmes des saisons de pêche, des tempêtes et des disparitions en mer.
Il laisse ainsi son esprit vagabonder, voyant tout ce qu'il l'entoure comme une terre inconnue et lointaine, inaccessible. Il parcourt mentalement la distance qui le sépare du chalet, s'extasiant sur chaque détail qu'il n'avait pas consciemment, quelques heures auparavant, remarqué.
Il l'imagine, elle, surement morte d'inquiétude, assise dans la cuisine face aux portes vitré, attendant dans un silence à peine troublé par l'inlassable danse des vagues au dehors; s'attendant à chaque instant à le voir entrer,lui, et prête à lui sauter dans les bras.
Mais le voudrait-il ? Il commence même alors à douter de ses propres sentiments, peut-il aimer alors qu'il ne croit pas même pas savoir ce qu'est l'amour. Ce qu'il ressent n'est il pas juste un besoin physique, ou le manque qu'il peut sentir lorsqu'elle n'est pas là ne serait il pas une simple gène de ses habitudes,...
Alors qu'il était perdu dans ses pensées, il sent sur son épaule une main qui la serre doucement.
Le jeune serveur s'excuse :
-Pardon, vous parliez tout seul.. comme si vous pensiez tout haut.
-Excuse moi..
-Vous savez je pense qu'ai..
-Je me fous de ce que tu pense, un autre Calva !
-Comme vous voudrez.
Le serveur s'éloigne. Lui regrette déjà d'avoir d'avoir été bêtement méchant avec ce garçon qu'il ne connaît même pas.
Le Calva arrive, avec lui l'addition, sur celle ci quelques lignes griffonnées rapidement.
" L'amour, n'a besoin que de lui pour exister. Mais si aimer c'est confier sa passion à quelqu'un, alors, n'est elle pas la première à voir toutes vos photos ? "

    Elle Sursaute, son portable vient d'émettre un "bip" sonore inattendu, un message de lui, deux mots : "Je t'aime..".
La porte d'entrée du bar claque, sur la table au fond, un verre de Calvados rempli, qu'un ivrogne reluque ostensiblement. Sur l'addition, un gros pour-boire.
Sur la digue un homme court en direction de la plage, des mouettes effrayées s'envolent...

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